Je pourrai te répondre en te disant que tu m'as mal lu : le cas de l'enseignant sur lequel tu essayes de nous tirer des larmes relève plutôt de ce que j'appelais la "mauvaise" manière de partager des contenus sur lesquels nous n'avons pas normalement de droits. 600 ou 700 albums en un an, c'est du pétage de plomb intégral. En plus, le mec est un enseignant et pratique à son procès une défense de pleutre et d'irresponsable (en gros, "en fait, je suis beaucoup plus con que j'en ai l'air, soyez indulgents"), c'est-à-dire qu'il n'en aura absolument pas profité pour faire progresser d'un pouce la sensibilisation à cette question mais n'aura pensé qu'à sa pomme.

Donc, en gros, la justice remplit son rôle : elle lui colle une amende raisonnable et ça va faire réfléchir tous ceux qui, comme celui-ci (et contrairement à jm, par exemple, qui pose la question s'il a un doute), n'arrivent décidément pas tous seuls à trouver la bonne distance éthique face à cette question et sans doute à d'autres. Dans tes prochaines imprécations (bon enfant, il est vrai) contre tous ceux qui nous empêchent d'avancer vers un monde meilleur, n'oublie pas à l'occasion les milliers de gros nuls en réflexion et en éthique comme celui-ci qui pèsent de tout leur poids dans le problème, ne nous voilons pas la face.
Et hop ! (comme disait un personnage de BD cher à nos coeurs à tous deux ! )

Point linguistique : Le mot américain bootleg dénote (c'est-à-dire "véhicule objectivement le sens de") l'illicite, donc si on voulait faire court, on pourrait s'arrêter là et te répondre qu'un "bootleg" est illégal dans sa définition même. Mais d'une part ça ne répondrait que très partiellement au fond de ta question, et d'autre part je ne prends en général pas le clavier pour faire des contribs de 5 lignes ! Donc, pour compléter le point linguistique avant de passer au fond du propos : le terme "bootleg" désigne au départ l'alcool fabriqué hors des circuits officiels en Amérique ; son origine serait qu'il était d'usage de planquer sa bouteille de "moonshine" (autre terme d'argot US pour dire que c'est de l'alcool fabriqué discrètement au clair de lune) dans la botte pour l'avoir sur soi. Bon, faut voir, parce qu'une bouteille dans la botte, c'est un peu gênant pour marcher, il me semble, mais l'explication est tout de même au moins marrante. Le mot a désigné ensuite comme sens secondaire tout ce qui pouvait être de contrebande ou illicite, et notamment les enregistrements musicaux effectués au vol.

Point législatif : Dans le cadre de la législation sur la propriété intellectuelle qui est encore en vigueur mais qui est désormais en retard sur la pratique et qui ne pourra en aucun cas retrouver sa pleine force d'exercice (même à coups de "descentes chez les pirates" qui sont quasiment des coups d'épée dans l'eau), chaque oeuvre (musicale, littéraire, etc.) est assorti de nombreux droits (reproduction, publication, diffusion, exécution publique, etc.). A chacun de ces droits correspond un ayant-droit enregistré auprès des institutions correspondantes. Nul autre que l'ayant-droit ne peut légalement exercer un de ces droits, par exemple enregistrer la diffusion ou l'exécution d'une oeuvre musicale puis la diffuser.

Point politico-socio-culturel : 1) La présence de plus en plus forte et naturelle du numérique et du Net dans nos vies quotidiennes a) stimule logiquement nos comportements de partage de contenus "culturels" ; b) fournit à tous des moyens extrêmement simples et efficaces de partager de tels contenus. Parallèlement, 2) Le droit a de plus en plus d'importance pour fonder nos sociétés démocratiques, mais il est de plus en plus sommé de toutes part d'évoluer, et ce à un rythme élevé, pour mieux coller à l'évolution concrète rapide desdites sociétés. Quand il n'évolue pas assez vite, certains, dans certains domaines, adoptent par exemple des comportements dits de "désobéissance civique" pour essayer de forcer la donne.

Donc, synthèse de ces tendances : 1) la Loi fonde toujours nos sociétés, OK, mais le Législateur (mot qui désigne l'institution qui, dans une société démocratique, crée les lois) n'est plus au-dessus de la société, ce n'est plus tout à fait, en France, le Parlement (réunion de l'Assemblée nationale et du Sénat, avec prééminence de la première) ; chaque groupe, chaque individu, quasiment, prétend désormais concourir à être colégislateur (notons en passant que ce mouvement génère une problématique supplémentaire de concurrence). 2) Dans le domaine des contenus culturels, les individus et groupes ont tous les moyens nécessaires pour pratiquer l'expérimentation à grande échelle de nouvelles règles d'échange, de partage, de transaction.

Bref, pour moi, le contexte de la question que tu poses, c'est le suivant : les invididus "hypermodernes" que nous sommes sont confrontés à un défi, celui de suppléer progressivement un droit formel qui ne peut plus suffire à asseoir l'état constamment évolutif de la société, par une éthique individuelle qui sache prendre en compte les intérêts de tous, le nôtre mais aussi celui des ayant-droits, de la société, etc. Autrement dit, il y a une bonne et une mauvaise manière d'échanger des contenus sur lesquels nous n'avons pas de droits formels, c'est ça ma réponse à ta question.

La "mauvaise" manière, c'est celle où l'intérêt personnel ("ne pas payer") est le plus souvent au premier plan de la manoeuvre, éventuellement assorti de justifications collectives sommaires ("Rien à foutre, tous des pourris de toute façon"). Tes "bootlegs" ne me semblent pas rentrer dans cette catégorie ; il s'agit d'enregistrements non disponibles autrement ; ils peuvent contribuer à la popularité de l'artiste et à l'achat de ses disques officiels ; et si leur qualité sonore n'est pas top (elle l'est rarement, je pense), elle ne fait pas vraiment concurrence aux enregistrements officiels.